Wavemaker Story #3 - Louise-Amélie Cougnon
L’inaction climatique : pourquoi et comment la dépasser ?
Face à l’urgence climatique, on ne manque ni d’alertes, ni de solutions. Pourtant, la transition reste (trop) lente. Deux études menées par l’UCLouvain analysent, via le prisme des sciences humaines et sociales, certains freins à l’action. Concrètes, les recherches suggèrent aussi des leviers et des outils pour accélérer les nécessaires changements de comportement.
La situation climatique, nous la connaissons. Ce qu’il convient de mettre en place pour freiner les scénarios catastrophes, aussi. Pourtant, faire changer nos comportements est laborieux. Pourquoi tant d’écarts entre les intentions et les actions ? Pourquoi les récits alarmants et les injonctions rationnelles peinent-ils à provoquer une véritable bascule ?
Deux rapports menés par le MiiL (Media Innovation & Intelligibility Lab), soit la plateforme d’innovation en production et appropriation digitales de l’UCLouvain, apportent un éclairage précieux sur ces questions :
- Le rapport européen Overcoming Obstacles and Disincentives to Climate Change Mitigation (2O2CM) qui se penche sur la compréhension scientifique des obstacles à l’atténuation du changement climatique dans 3 pays : la Belgique, la France et la Norvège ;
- L’étude Jeunes, Communication & Climat centrée sur la manière dont les jeunes Belges perçoivent leur avenir dans le contexte du changement climatique.
En croisant leurs enseignements, une évidence émerge : les freins au changement sont systémiques. Ils dépassent largement le cadre de l'information ou de la rationalité. Ils s’enracinent dans des normes sociales, des récits collectifs, des tensions intérieures et des contextes de vie diversifiés. Le MiiL, avec ses partenaires européens, analyse ces obstacles en profondeur et propose des pistes concrètes pour les surmonter. Des recommandations utiles pour concevoir des stratégies de communication plus efficaces. Éclairage avec l’aide de la Dr. Louise-Amélie Cougnon, responsable de la recherche au MiiL.
La dissonance cognitive : quand nos valeurs et nos actes s’opposent
La dissonance cognitive, c’est le malaise que l’on ressent lorsque nos comportements ne sont pas en adéquation avec nos valeurs ou nos connaissances. Conscient·es de l’impact environnemental de nos actes, nous sommes pourtant nombreux et nombreuses à continuer à consommer, à nous déplacer ou à produire « comme avant ».
Face à cette tension, plusieurs stratégies de défense se mettent en place :
- La rationalisation (« ce n’est pas si grave ») ;
- La déresponsabilisation (« ce sont les grandes entreprises le vrai problème») ;
- Le déni partiel ou l’évitement (« je préfère ne pas y penser »).
Ces mécanismes ne sont pas des signes de mauvaise foi, mais des formes d’auto-protection psychologique face à la complexité et à l’angoisse. Les intégrer permet d’imaginer des dispositifs qui facilitent la cohérence entre convictions et comportements. Comment ? En proposant des choix par défaut durables, en insistant sur la valorisation sociale et en accompagnant le changement.
Les normes sociales : ces habitudes collectives qui freinent la transition
Les normes, ce sont l’ensemble des règles et principes qui constituent une norme admise dans un groupe social, c’est à dire ce qu’on pense que la majorité des gens pensent. Qu’elles soient explicites ou implicites, exercent une influence puissante sur nos choix, en définissant ce qui est perçu comme acceptable, désirable ou « normal ». Ainsi, tant que prendre l’avion est associé à des concepts de liberté (« je voyage quand je veux ») et de succès (« j’ai beaucoup d’argent pour partir en vacances »), et que le recours au vélo ou à la sobriété sont interprétés comme des contraintes, des régression ou des restrictions de liberté, les comportements durables peineront à s’imposer.
Sensibiliser semble inefficace face à la pérennité de ces normes sociales. Heureusement, ces normes ne sont pas figées pour autant, elles peuvent évoluer, voire muter. Changer durablement suppose donc de faire évoluer ces référentiels collectifs.
-> En termes de communication, il faut faire plus qu’informer : il convient de dénormaliser certains gestes et en revaloriser d’autres. L’influence des pairs, les figures d’identification (comme les influenceurs et influenceuses) et la visibilité sociale des comportements durables sont donc des leviers cruciaux à activer.
Le « mismatch » : quand le décalage entre valeurs et normes pousse à agir
Le mismatch, c’est le décalage entre les normes sociales dominantes et les convictions personnelles. Celui-ci, loin de paralyser, peut devenir un déclencheur d’engagement. En effet, lorsqu’on ressent que les normes en vigueur ne sont plus en phase avec nos valeurs profondes, cette tension peut générer une volonté d’agir pour faire évoluer ces normes. Les minorités actives, convaincues et cohérentes, peuvent influencer durablement leur entourage et enclencher un changement plus large, même s’il est progressif et localisé.
-> La communication joue ici un rôle central : elle peut mettre en lumière ces dynamiques minoritaires, les valoriser et les rendre visibles. Elle peut signaler que d’autres modèles existent, qu’ils sont déjà à l’œuvre, et qu’ils méritent d’être suivis. C’est ce qu’on appelle la « déviance constructive », une manière d’habiter les marges pour mieux redéfinir le centre.
Le cas des jeunes et du climat : entre lucidité, désenchantement et nouvelles formes d’engagement
L’étude Jeunes, Communication & Climat révèle une forte conscience des enjeux parmi les 15-24 ans, mais aussi un sentiment diffus d’impuissance. Cette génération, bien que mobilisée, est aussi la plus exposée à la saturation informationnelle, aux récits catastrophistes et à la défiance envers les institutions.
Nombreux sont ceux et celles qui expriment un besoin de récits plus porteurs, d’initiatives concrètes à leur échelle, et de figures inspirantes, réalistes mais mobilisatrices. Leur engagement ne passe pas forcément par les canaux traditionnels (militantisme, engagement politique), mais par des formes hybrides comme la création de contenu, l’entrepreneuriat social, la mobilisation communautaire, le changement de mode de vie.
-> Toute stratégie de communication climatique qui vise cette cible a donc intérêt à prendre en compte cette ambivalence : un mélange de lucidité, de lassitude et d’envie de faire autrement. Cela suppose des approches plus empathiques, participatives et créatives.
Changer nos récits pour changer nos comportements ?
Au cœur des deux rapports se trouve donc une idée clé : les comportements sont indissociables des récits dans lesquels ils prennent sens. Nos choix quotidiens s’inscrivent dans une vision du monde — souvent implicite — sur ce qu’est une vie réussie, désirable ou moderne.
Tant que nos imaginaires collectifs valorisent la vitesse, l’accumulation et la performance individuelle, il sera difficile de généraliser des pratiques fondées sur la sobriété, la coopération ou la résilience. Réorienter ces récits, c’est réhabiliter d’autres valeurs : la lenteur choisie, la simplicité volontaire, l’interdépendance et le soin du vivant.
-> Les leviers sont multiples et peuvent se réaliser via l’éducation, la culture, la publicité, les médias, et bien-sûr les politiques publiques. Mais cela passe aussi par le langage. Un discours politique ou médiatique qui se cantonne aux indicateurs chiffrés, sans récit, sans incarnation, reste inaudible. Pour engager, il faut raconter.
La dissonance cognitive, c’est le malaise que l’on ressent lorsque nos comportements ne sont pas en adéquation avec nos valeurs ou nos connaissances. Conscient·es de l’impact environnemental de nos actes, nous sommes pourtant nombreux et nombreuses à continuer à consommer, à nous déplacer ou à produire « comme avant ».
Six leviers concrets pour accélérer la transition
Les rapports convergent vers plusieurs pistes d’action concrètes et complémentaires. Autant de suggestions qui peuvent rendre plus efficace une stratégie de communication ciblée :
- Activer la norme sociale descriptive : montrer que de plus en plus de personnes adoptent des comportements durables afin de déclencher un effet d'entraînement.
- Réduire la distance psychologique : ancrer la communication climatique dans des contextes locaux, concrets et quotidiens pour renforcer le sentiment d'urgence et de proximité.
- Éviter la dissonance : favoriser des messages qui ne confrontent pas trop frontalement les habitudes, mais proposent des alternatives positives et accessibles.
- Renforcer les récits positifs et identitaires : utiliser des messages qui valorisent l'identité pro-environnementale sans la contraindre, notamment auprès des jeunes.
- Soutenir la capacité d’agir : proposer des actions simples, claires et visibles qui donnent le sentiment que chaque geste compte.
- S’appuyer sur les dynamiques de groupe : encourager les effets de pair à pair et les communautés de pratique comme leviers de diffusion du changement.
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