Wavemaker Story #6 - Isabelle Claes
Le virage régénératif du tourisme
Comment encourager à adopter un état d’esprit plus régénératif en voyage ? C’est tout le but de la ViaVia Tourism Academy (VVTA) au travers de ses formations et projets à destination des entrepreneurs, hautes écoles de tourisme, autorités locales et guides touristiques. Car ces acteurs sont les chaînons à connecter pour arriver à un changement de comportement. Isabelle Claes, active au sein de la VVTA, explique comment créer des leviers pour des choix plus régénératifs, y compris dans le secteur du voyage.
Qui est la Wavemaker Isabelle Claes ?
Isabelle Claes travaille pour la ViaVia Tourism Academy, le centre de connaissances et d’expertise du réseau Joker ViaVia sur l’entrepreneuriat innovant et le tourisme régénératif. Elle rassemble divers profils autour de formations et de projets, en Belgique et à l’étranger. Avec sa collègue Greet Huybrechts, elle est le ciment du réseau Joker, avec l’organisation Karavaan, les cafés de voyage ViaVia et l’agence Anders Reizen, pour mettre en pratique cette vision du voyage régénératif. Elles rassemblent des connaissances, nouent des liens, plantent des graines. Toutes deux accompagnent aussi des entreprises, organisations et étudiants qui souhaitent franchir le pas vers une démarche sociale régénérative.
« L’histoire de la ViaVia Tourism Academy a en fait commencé 30 ans avant sa fondation. La VVTA est une branche d’un arbre aux profondes racines. En 1971, de jeunes guides touristiques aventureux ont fondé Karavaan : une organisation dont le but est de soutenir et former d’autres jeunes guides touristiques, dans une perspective de rencontres, de découverte et d’émerveillement lors de chaque voyage. Dix ans après la création de Karavaan, en 1981, l’agence de voyages Joker voit le jour.
Autre bond de dix ans en avant : dans les années 1990, les inquiétudes liées au tourisme de masse font naître l’idée des cafés ViaVia. Il fallait donner la possibilité de voyager autrement, avec une connexion avec et un respect envers les communautés locales et la planète. Un café ViaVia permet aux voyageurs et populations locales de se rencontrer. Le premier ViaVia a ouvert ses portes à Heverlee près de Louvain en 1995 puis, la même année, à Yogyakarta en Indonésie. Nous célébrons donc cette année le 30e anniversaire des cafés ViaVia (qui comptent aujourd’hui 15 établissements dans le monde), notamment avec la publication du livre ‘Taste The World’.
Anders Reizen, l’expert en voyages axés sur la randonnée, a rejoint le réseau en 2001. La même année, la ViaVia Tourism Academy a été créée pour donner aux organisations ainsi réunies et à l’ensemble du secteur du voyage un levier d’action pour arriver à un monde meilleur. Avec une perspective d’ouverture lors des voyages, doublée d’une réelle connexion avec les communautés et les lieux visités. C’est donc au sein de ce réseau organique de différentes organisations que la VVTA joue le rôle de moteur d’une réflexion régénérative dans le cadre d’un entrepreneuriat social innovant pour le secteur du voyage, et plus largement pour d’autres entrepreneurs et organisations. »
Tourisme régénératif : qu’est-ce que c’est ?
« Pour avoir un réel impact sur la transition climatique, nous devons oser aller plus loin que la pensée et la gestion durables. La durabilité telle qu’elle est définie aujourd’hui consiste souvent à ‘ne pas aggraver les choses’, alors qu’un état d’esprit régénératif va plus loin et veut ‘améliorer les choses’.
Le tourisme régénératif va donc plus loin que le tourisme durable : ce n’est plus le vacancier mais bien le lieu visité qui est au centre des attentions. Il s’agit de s’immerger, avec un esprit ouvert, et d’essayer d’avoir un impact positif. Chez Joker, nous choisissons donc délibérément un maximum de partenaires avec un impact positif sur les personnes, les animaux et le climat, et nous les rémunérons correctement. Parce que la formation, un salaire décent et des conditions de travail sûres ne sont pas encore une évidence dans tous les pays. »
« La durabilité telle qu’elle est définie aujourd’hui consiste souvent à ‘ne pas aggraver les choses’, alors qu’un état d’esprit régénératif va plus loin et veut ‘améliorer les choses’. »
« Le terme ‘régénération’ vient de la nature : les systèmes naturels se régénèrent en permanence. Même ce qui meurt sert de nourriture pour une prochaine étape. C’est sur la base de cette réflexion régénérative qu’il est possible de créer un impact positif lors d’un voyage. Vous contribuez ainsi vraiment à un monde meilleur qui est écologiquement, économiquement et socialement durable. »
Qu’est-ce qui fonctionne ?
1. Appliquer ses propres principes
« Une partie du prix payé par les clients pour les voyages Joker est reversée au fonds Joker ViaVia. Ces ressources nous permettent de soutenir les projets locaux de nos cafés ViaVia. Tous les acteurs ViaVia essaient ainsi de faire la différence avec de petites initiatives. En encourageant cet esprit d’entreprise dans le secteur du voyage, nous créons aussi plus d’occasions pour les voyageurs de poser un choix régénératif.
À ViaVia Buenos Aires en Argentine, vous pouvez découvrir l’initiative ‘La huerta como escuela’. En collaboration avec une école locale, ils investissent dans des potagers pour permettre aux élèves de créer un lien avec la nature en mettant littéralement la main à la terre tout en accumulant des apprentissages sur une alimentation saine, la biologie, les mathématiques et l’esprit d’entreprise. À ViaVia Copán au Honduras, un guide pour le moins original vous emmène à la découverte de la vraie vie hondurienne, avec les défis de l’éducation, du trafic de drogue et de la migration que cela implique. Et les bénéfices de ce voyage servent à acheter des manuels scolaires pour permettre à des enfants de six ans d’apprendre à lire. »
2. Marcher au ressenti
« Les Inner Development Goals (IDG, ou objectifs de développement intérieur) forment un cadre qui désigne la dimension intérieure de la réflexion et de la gestion durables, au travers d’une vingtaine de compétences mentales : vision à long terme, confiance, créativité, optimisme... »
« Les IDG sont apparus en 2020, lorsque des scientifiques ont constaté les difficultés de réalisation pour les Objectifs de développement durable des Nations Unies. Comment réduire les déchets d’ici à 2030 ? Comment générer plus d’énergie renouvelable ? Les arguments rationnels et théoriques sont sur la table depuis longtemps, mais il manque apparemment l’impulsion nécessaire pour pousser à faire des choix durables. »
« Les IDG sont dans notre ADN, et nous les intégrons dans nos formations, en tant qu’outil pour permettre la transition vers un esprit d’entreprise régénératif. »
« Les systèmes que les gens connaissent aujourd’hui sont en fait fortement basés sur le rationnel, les faits et les connaissances, ce qui fait que nous négligeons la connexion avec notre cœur, notre ressenti et notre conscience. Les IDG nous invitent à établir ce lien avec nous-mêmes, avec les autres et avec la nature. Parce que c’est comme cela que nous réussirons à atteindre ensemble plus efficacement ces Objectifs de développement durable, à partir d’une motivation intrinsèque plutôt que de faits rationnels. »
« Cela fait des décennies que les IDG sont dans l’ADN de l’ensemble du réseau Joker-ViaVia. Depuis le début, notre action repose sur cinq piliers essentiels : la rencontre, l’ouverture, la compréhension, l’appréciation et l’émerveillement. Ces piliers se retrouvent presque mot pour mot dans le cadre des IDG. Voilà pourquoi nous intégrons activement ces IDG dans nos formations, en tant qu’outil pour permettre la transition vers une réflexion et un esprit d’entreprise régénératifs. De nombreuses organisations au sein du réseau The Good Wave travaillent d’ailleurs déjà avec les IDG, mais souvent inconsciemment. Cela pourrait se faire de manière un peu plus explicite. »
3. Proposer des perspectives
« Les formations de la VVTA apprennent à adopter une réflexion large et holistique, à mettre les choses en perspective et à comprendre l’impact à long terme de nos actions. Il s’agit donc d’une prise de conscience et de nouvelles perspectives, qui doivent mûrir un peu avant de pouvoir être converties en actions concrètes. Car il n’est pas évident d’apprendre à penser différemment, en dehors des systèmes que l’on connaît. On ne change pas un comportement sans motivation. Il faut donc savoir et ressentir pourquoi un choix différent, régénératif, est nécessaire. »
« Un esprit d’entreprise plus durable dans le secteur du voyage commence aussi par ces perspectives. Une entreprise peut parfaitement être rentable en se concentrant non seulement sur le profit financier, mais aussi sur la valeur ajoutée sociale et écologique. A fortiori dans le secteur du tourisme, cet état d’esprit régénératif représente une valeur ajoutée, car le tourisme ne se résume pas aux vacances : il offre avant tout des connexions avec la communauté locale. De nombreux autres secteurs sont liés au tourisme : les guides locaux, le boulanger, les restaurants, les transports publics…
De nombreux entrepreneurs intègrent déjà cette valeur ajoutée sociale dans leur activité, mais restent encore souvent accrochés aux systèmes actuels qui ne facilitent pas toujours la démarche. Voilà pourquoi notre rôle de coordinateur du réseau d’apprentissage pour un tourisme durable et innovant (Lerend Netwerk Duurzaam en Innovatief Toerisme, LNDIT) en Flandre est important : nous inspirons et mettons les gens en contact pour leur permettre d’aussi apprendre les uns des autres. »
« Nous cherchons constamment à établir des connexions. Au sein de notre propre réseau, au sein de The Good Wave, au sein de notre réseau d’apprentissage européen consacré au tourisme régénératif. Une vraie connexion est la clé de tout. Elle naît d’un sentiment, et nous devrions bien davantage oser accepter et nommer ce sentiment. Être à l’écoute de son ressenti et agir en conséquence n’est pas une approche à rejeter comme étant trop tendre et superficielle, car elle est justement très importante dans une société qui s’appuie beaucoup sur le rationnel et les faits. Car les faits n’amènent aucun changement. La prise de conscience et la motivation bien. »
« Dans nos formations, nous mettons également l’accent sur la connexion, par exemple avec des sessions sur la communication interculturelle, la diversité et l’hospitalité. Un guide au Pérou part d’un cadre de valeurs différent de celui des voyageurs du groupe. Ces derniers peuvent avoir des souhaits et attentes spécifiques. Comment dès lors faire le lien entre ces différences, sans conflit ? »
« Un guide au Pérou part d’un cadre de valeurs différent de celui des voyageurs du groupe. Comment faire le lien entre ces différences, sans conflit ? »
5. Faire beaucoup de petites avancées
« Pour les profils qui font un travail comme le mien, voir que les choses n’avancent pas comme nous le voudrions amène souvent une frustration. Mais avec la dimension intérieure de l’action climatique des IDG, j’ai trouvé un peu plus de tranquillité d’esprit. Je suis plus consciente de ce que nous avons à disposition et de ce que nous pouvons faire nous-mêmes. Et j’ai la conviction que toutes les petites avancées comptent. Pas à pas. Ne rien faire n’est pas une option. Non, un voyage ne sera jamais complètement régénératif, mais nous faisons chaque jour de petits pas vers un impact plus positif. »
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